Justice20 octobre 20231Espace-temps carcéral

Voici dix ans que je visite chaque semaine des prisonniers en maison d’arrêt. J’y ai rencontré une cinquantaine de personnes, principalement des hommes, d’âges différents, français mais aussi étrangers.

 Une caractéristique de ces rencontres, c’est qu’elles provoquent comme une distorsion de l’espace et du temps. Une leçon de relativité que n’aurait pas désavouée Albert Einstein.

 L’espace dans lequel se meuvent les prisonniers est étriqué. En maison d’arrêt, la règle est qu’ils partagent avec un codétenu une cellule de 9m². Il n’est pas rare que l’on place un matelas au sol pour un troisième occupant. La prison est un univers confiné, régi par des règles spécifiques. structuré par sa propre hiérarchie ; en haut les caïds, tout en bas les « pointeurs », criminels sexuels. Dans ce huits-clos, la violence est omniprésente.

Et pourtant, il y a peu d’univers aussi ouverts que la prison. C’est un concentré d’humanité universelle. Dans cette cellule coexistent tant bien que mal un Français, un Colombien et un Bosniaque. Ils sont d’âges différents, ne parlent pas la même langue, communiquent chacun avec sa famille au loin, pratiquent – ou non – une religion. Ils interagissent avec les surveillants qui, eux aussi, apportent avec eux le souci de leurs gamins et leurs rêves de mutation.

 La prison est toute petite ; elle est aussi immense par l’intensité des destins mêlés dans les coursives. Distorsion de l’espace.

 Distorsion aussi du temps. J’ai évoqué dans « transhumances » le « temps mou » de la prison. Comme de la guimauve, le temps s’étire indéfiniment sous le poids de l’oisiveté et de l’ennui. Lorsqu’approche le procès l’anxiété au contraire dévore les heures et les minutes. Il y a un avant et un après. Avant, on ignore ce qu’on va devenir, on se trouve entre les mains du juge. Après, la vie se structure sur l’échéance de la peine prononcée, 6 mois, 5 ans, 30 ans…

 Le temps carcéral est capricieux. Il y a quelques mois, ce jeune détenu sud-américain que je rencontre paraissait intégré, presque heureux d’avoir su prendre ses marques. Aujourd’hui, je le trouve déprimé comme aux premiers jours de son incarcération. Lorsqu’il arrive au parloir, le visiteur ne peut jamais prévoir ce qui va se passer. Il doit se préparer à des montagnes russes émotionnelles. Une expérience humaine qui en vaut la peine.

One comment

  • Bazin Didier

    20 octobre 2023 at 7h09

    Une fois de plus, tes mots sont justes, Xavier ?
    Merci pour ce partage
    Bonne journée
    Amicalement
    Didier

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