Livres13 août 20230Le veilleur de nuit

Dans « The night watchman » (le veilleur de nuit, traduit en français sous le titre « celui qui veille »), Louise Erdrich construit un roman à partir de l’histoire véridique de son grand-père Patrick Gourneau pour la reconnaissance des droits de la tribu amérindienne à laquelle il appartenait, les Chippewas. Elle a obtenu pour ce roman le prix Pulitzer en 2021.

Les Chippewas, ou Ojibwas, vivent au nord des États-Unis et au Canada. Le roman est situé autour de Fargo, à la limite entre le Dakota du Nord et le Minnesota. La tribu avait signé, avec les États-Unis, des traités qui leur attribuaient des terres – les « réserves » – « aussi longtemps que l’herbe pousse et les rivières coulent ».

Le 1er août 1953, à l’initiative du Sénateur Arthur V. Watkins, le Congrès américain annonça son intention d’abroger ces traités, en utilisant le mot anglais « termination » qui dans ce contexte porte trois significations : la résiliation des traités, l’interruption de l’aide fédérale et la fin de la reconnaissance de l’existence même des tribus. Watkins était un Mormon. Selon cette religion, « les Indiens n’étaient pas blancs et gracieux, mais maudits pour leur peau sombre, de sorte qu’ils n’avaient pas le droit de vivre sur cette terre. »

Paysage du Dakota du nord

Le personnage de Thomas Wazhashk, double fictionnel de Patrick Gourmeau, est gardien de nuit dans une usine d’incrustation de bijoux. Il découvre avec effarement le mot « termination » dans le projet de loi encombré de mots pompeux : « émancipation, liberté, égalité, succès. Qui déguisaient sa vérité : termination. Termination. Il ne manquait que le préfixe. L’ex. »

Thomas est un autodidacte, un lecteur compulsif. Il comprend le risque mortel que fait courir le projet de loi à son peuple, à sa terre, à sa langue, à sa culture. Président du conseil de la tribu, il remue terre et ciel pour mobiliser ses troupes, recueillir des signatures, envoyer une délégation d’abord à Fargo, à l’échelon régional, puis au Congrès à Washington.

Il se livre corps et âme à ce combat, au péril de sa santé. La nuit, entre deux rondes, il écrit des centaines de lettres pour obtenir le soutien de collectivités blanches, leur expliquant que si l’État fédéral se retire, c’est à elles qu’il reviendra d’assurer les services auxquels les Chippewas, en tant que citoyens, ont droit.

Ouvrières de la Turtle Mountains jewel bearing plant

L’autre personnage central du roman est Patrice « Pixie » Paranteau, une jeune femme de 19 ans, nièce de Thomas et employée comme ouvrière dans la même usine que lui. De langue maternelle chippewa mais à l’aise en anglais, elle fera partie, en mars 1954, de la délégation au Capitole.

Patrice est taraudée par la crainte que son père, chroniquement alcoolique, revienne à la maison et pourrisse sa vie et celles de sa mère et de son frère. Elle a une obsession : retrouver sa grande sœur Vera, partie chercher fortune en ville, dont elle découvrira qu’elle a été enlevée par des trafiquants et vouée à la prostitution.

Un jour, alors qu’elle chasse le lapin dans la neige, Patrice tombe dans l’entrée de la tanière d’un ours qui dort profondément. Elle profite de sa chaleur pour faire sa sieste à quelques centimètres de lui. Elle révèle l’endroit à sa mère Zhaanat, qui tue l’animal et cuisine sa viande. « Elle oublia la gentillesse de l’ours et comment elle l’avait trahi, bien que peut-être, comme Zhaanat l’avait toujours cru, l’ours s’était intentionnellement donné à elle. »

Dans cet épisode réside ce qui attache si profondément les Chippewas à leur terre : la conscience que les esprits des humains, des animaux, et des arbres y sont intimement connectés. Wood Mountain, boxeur amoureux de « Pixie », parle des fantômes qui habitent la réserve. « Quelquefois, quand je sors, j’ai l’impression qu’ils sont avec moi, ces revenants. Je n’en parle jamais. Mais ils sont tous autour de nous. Je ne pourrais jamais quitter cet endroit. »

Louise Erdrich

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