JusticeTélévision11 août 20230Les prisons françaises : premier reportage à la télévision (1963)

Criminocorpus, « musée d’histoire de la justice, des crimes et des peines », donne accès aux premiers reportages sur les prisons réalisés pour la télévision française.

 Cinq reportages ont été écrits et réalisés par Charles Brabant et Frédéric Pottecher en 1963, d’une durée d’environ 30 minutes chacun. Chroniqueur judiciaire à la Radio-Diffusion Télévision Française, Frédéric Pottecher avait obtenu du Directeur de l’Administration Pénitentiaire Robert Schmelk l’autorisation d’entrer dans des prisons pour courtes ou longues peines, de rencontrer des responsables et des détenus et de filmer.

 Pour le directeur, il s’agissait d’alerter l’opinion publique sur l’état de délabrement et – déjà – de surpopulation des prisons françaises afin d’obtenir des crédits pour leur rénovation et des constructions nouvelles (dont celle de Bordeaux Gradignan).

Le premier reportage concerne les établissements pour courtes peines. Il a été tourné dans les prisons de Paris La Santé, Le Mans, Nantes et Alençon. Il y avait à l’époque en France 25 000 détenus, soit une densité carcérale de 53 détenus pour 100 000 habitants, la moitié du chiffre actuel. Mais les prisons étaient, dit Frédéric Pottecher, dans un état de vétusté effarant et une effroyable promiscuité y régnait.

 Le langage des responsables est soutenu et désuet. On entend par exemple que « les plus endurcis corrompent les plus faibles » ; on parle d’un homme « adonné à l’ivrognerie »  Mais la réalité décrite reste, malheureusement, d’actualité d’aujourd’hui : l’entassement condamne la plupart des détenus à l’oisiveté. Le travail en concession est rare et inintéressant. Faute de savoir occuper ses pensionnaires, la prison les pervertit. Le directeur de l’administration pénitentiaire fait ainsi l’éloge de la probation, qui permet alors à 8 000 petits délinquants d’éviter l’incarcération.

Frédéric Pottecher ne s’adresse pas au directeur de l’administration pénitentiaire par « Monsieur le directeur », mais « Monsieur le procureur général », son ancienne affectation, comme si sa fonction actuelle était dégradante. On est frappé par son langage direct et aussi sa compassion : « il ne faut pas se décourager, mon vieux, ce n’est pas grave, ça va se passer », dit-il à un détenu portugais en larmes. Certaines situations étonnent : ainsi, la messe est célébrée par un prêtre au bout d’une coursive, et les portes des cellules sont entrouvertes pour que les détenus puissent y assister sans en sortir.

 Le reportage est d’une grande qualité esthétique. Parlant d’un ancien fort transformé en prison, il associe à ses oubliettes les oubliés d’aujourd’hui. On entend le poème « de la prison », écrit en 1880 par Paul Verlaine et chanté en 1962 par Yves Montand : « le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme … Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là vient de la ville. » Les images et la bande sonore parlent de la réalité de la prison au-delà des mots.

 Le reportage de Brabant et Pottecher commence par ces mots : « la prison, tant qu’on n’y est pas allé, on ne sait pas ce que c’est »

Maquette de la future prison de Gradignan, 60 ans plus tard promise à la démolition

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