Justice5 février 20230L’entassement des prisonniers, une fatalité ?

Le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint son plus haut niveau historique au mois de novembre 2022, avec 72 809 prisonniers et une densité carcérale de 120%. Certaines maisons d’arrêt dépassent même les 200%. L’entassement des prisonniers est-il une fatalité ?

En janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses prisons. Près de trois ans plus tard, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe vient de demander l’adoption rapide d’une « stratégie globale et cohérente » pour réduire la surpopulation carcérale.

Pourquoi la surpopulation carcérale est-elle problématique ?

L’état des prisons en France se heurte à l’indifférence d’une grande partie de l’opinion. « Ils l’ont bien mérité », entend-on dire des prisonniers. La souffrance qu’ils endurent devrait être au moins proportionnelle à celle de leurs victimes.

Outre l’image internationale de la France, abîmée par l’état catastrophique de ses prisons, plusieurs arguments plaident en faveur de la réduction du nombre de détenus. La détention d’une personne coûte aux contribuables 110€ par jour, soit 40 000€ par an, soit 2 fois le salaire minimum incluant les charges sociales.

Cet argent est-il bien employé ? Il le serait si les détenus qui, dans leur immense majorité, ont vocation à sortir un jour, pouvaient travailler, se former, se soigner pendant leur temps de captivité. Du fait de la surpopulation, seule une partie d’entre eux ont accès aux services de base.

La surpopulation génère déclassement et frustration, une bombe à retardement pour la société. 40 000€ pour fabriquer de la récidive, c’est cher payé.

Quelles sont les causes de la surpopulation ?

En janvier 2022, la commission parlementaire d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française relevait qu’en vingt ans, les peines correctionnelles d’emprisonnement ont été multipliées par plus de deux, passant de 25 166 en 2000 à 53 862 en 2020. « La France incarcère davantage depuis vingt ans alors que l’on n’assiste pas à une telle hausse de la délinquance », soulignait le rapport.

Souvent accusée de laxisme, le système judiciaire emprisonne davantage, et pour plus longtemps. La tendance est à l’accroissement de la durée des peines encourues. Un exemple récent : une proposition de loi contre les squatteurs prévoit qu’ils risqueraient 3 ans d’emprisonnement contre 1 an actuellement. Les délais de prescription (en particulier pour les crimes sexuels) et la durée des peines encourues sont étendus.

Faute de moyens suffisants, la justice est lente. Les personnes prévenues (en attente de jugement) représentent près de 30% des personnes détenues. Le délai entre une détention provisoire et une condamnation par un tribunal est fréquemment supérieur à un an.

Le recours à la procédure de comparution immédiate, destinée à accélérer le cours de la justice, conduit à des emprisonnements plus fréquents que les procédures contradictoires.

Comment réduire le recours à l’emprisonnement sans nuire à la sécurité publique ?

La croissance continue du taux d’incarcération n’est pas une fatalité : s’il a atteint 102 détenus pour 10 000 habitants en France, il n’est que de 70 en Allemagne et 54 aux Pays-Bas, sans qu’un moindre recours à l’emprisonnement ait causé une augmentation de la délinquance.

Le recours à la détention provisoire pourrait être réduit si le délai entre les faits et le jugement était réduit. On peut y parvenir en dotant la justice de moyens humains et informationnels qui  accroissent son efficacité.

Un numerus clausus pourrait être introduit en maison d’arrêt : pour chaque entrant, une personne en fin de peine serait libérée par anticipation, une fois vérifié qu’elle ne présente pas de danger pour la société.

Les courtes peines (inférieures à 2 ans) peuvent être remplacées par des peines alternatives : détention à domicile sous surveillance électronique, travail d’intérêt général, placement à l’extérieur… Une forte augmentation du placement sous « bracelet électronique » est enregistrée, mais elle ne correspond pas toujours à un évitement de la prison. Dans tous les cas, le principal défi à relever est la robustesse de l’accompagnement socioéducatif des sanctions en milieu ouvert.

Les peines encourues sont de plus en plus longues. On sait qu’au fil des années, la peine fait moins de sens pour la personne emprisonnée. Son degré de dangerosité évolue avec l’âge et le cheminement personnel. La mise en liberté conditionnelle devrait être largement pratiquée.

La prison a pour objectifs punir les infracteurs pour ce qu’ils ont commis, neutraliser ceux qui sont dangereux et ouvrir un chemin de réintégration harmonieuse dans la société. Il existe d’autres moyens de punir que la prison. L’enfermement est parfois nécessaire pour écarter ceux qui sont dangereux : l’enjeu est de savoir mesurer cette dangerosité, sachant qu’elle évolue dans le temps. Quant à la réintégration dans la société, elle est structurellement antagoniste avec l’emprisonnement, qui signifie rupture et séparation, mais elle ne peut se préparer en prison que si les détenus n’y sont pas entassés.

Longues peines…

 

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