ActualitéJusticeLivres8 novembre 20210Sur mesure(s)

Dans « Sur mesure(s), un métier au cœur de la Pénitentiaire » (Éditions Ici & Là, 2021), des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) de la Gironde s’expriment sur leur métier.

 Cet excellent livre est le fruit d’un atelier d’écriture animé par l’écrivaine Marion Coudert avec dix CPIP qui ont voulu « défendre leur métier si peu connu et en dire toute l’humanité, la fragilité et les grandes joies aussi ».

 Le terme de « mesure » signifie une décision judiciaire imposant à un justiciable des contraintes, qui peuvent aller de l’obligation de suivre un stage à l’interdiction de s’approcher d’une personne déterminée et jusqu’à l’emprisonnement. Les CPIP interviennent en amont de la décision du juge, en fournissant des informations sur la situation du justiciable et une évaluation de sa dangerosité. Ils interviennent aussi en aval, en définissant un « parcours de peine » et en s’assurant que la mesure est respectée.

Photo du film « au bout de leur peine »

Clichés, levez-vous !

« Transhumances » a évoqué le métier des CPIP en présentant le documentaire « au bout de leur peine » de Mathilde Syre, qui s’attache au travail de deux conseillères au sein de la maison d’arrêt et centre de détention d’Aiton, en Savoie. Ils sont 3 500 à exercer ce métier, en détention ou en milieu ouvert.

 La première partie, intitulée « Clichés, levez-vous », est désopilante. Il est d’abord question du jargon des SPIP, que les visiteurs de prison connaissent bien. « Tiens, tu as vu cette PPSMJ, elle est retombée, elle était en PSE probatoire à une LC et elle avait aussi un TIG à exécuter. Elle passe en CI ce jour au TGI, j’espère que le JLD ne la mettra pas en DP ou qu’une ARSE sera vite prononcée par le JL. Elle devrait bientôt passer en CPI pour sa CP… C’est fichu, elle n’aura pas ses RSP et le JAP lui fera sauter ses CRP. »

 Sur l’opinion publique : « mon beau-frère, lui, homme droit, tolérant et ouvert d’esprit, considère que je ne sers à rien d’autre qu’à lui coûter trop d’impôts. Pour la peine de mort et l’émasculation, il a plein d’idées pour rendre la justice moins laxiste… son joint à la main. Quant à l’opinion publique… je vous ai parlé de mon beau-frère ? » Mon métier, explique un autre CPIP, c’est de lutter contre les préjugés tenaces et les idées reçues. »

Photo du film « au bout de leur peine »

De multiples visages

 Autre témoignage. « À la sortie de l’école, ma fille explique : ma maman, elle aide les gens qui ont fait des bêtises à ne plus recommencer. Voilà comment en une phrase, pour les mamans présentes, je suis devenue une véritable caïd. Dois-je leur dire à toutes ces mamans que je ne passe pas mes journées avec des violeurs, des meurtriers ou des braqueurs de banque. Bien sûr que j’en vois. Mais en réalité, dans mon bureau, j’ai plutôt des accidentés de la vie, des accidents de parcours, des accrocs de l’accident. »

 On croit volontiers qu’il y a des montres en prison. Mais, au fil des rencontres, « les monstres disparaissent pour laisser la place à des visages, des parcours et des vies. Le monstre, finalement, c’est la prison elle-même, noire, froide et lisse. »

 Un papier intitulé « Face » parle justement des visages. « Je pense à un portrait de Picasso, celui de Dora Maar quand je me représente le portrait d’un délinquant. Ce tableau provoque parce qu’il n’est pas figuratif, qu’il ne correspond pas aux normes esthétiques (sociales) mais qu’il donne à voir les multiples facettes de cette personne. »

Pablo Picasso, portrait de Dora Maar

Des mots pour guérir les maux

 Les CPIP qui ont contribué à l’ouvrage croient passionnément à leur métier. Ils croient que les mots peuvent guérir les maux, que leur travail peut remettre des gens en route.

 « Grand gaillard fragile

Voix aigüe, débit de mitraillette

Il vomit ses angoisses et ses emmerdes

Trop de choses à dire.

Je l’écoute, l’aide à ordonner sa pensée

Les mots forment enfin des phrases cohérentes

Le travail peut commencer »

 La plus grande frustration, c’est la mort, la mort subie ou celle que l’on se donne, comme une ultime libération d’une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue.

 « Celui qui avait compris

Voulait une vie normale et banale

Aimer et être aimé

Chérir pour ne pas mourir

S’affranchir de la délinquance

En finir avec la Justice

La quitter à jamais

Fauché trop tôt pour lui prouver qu’il pouvait. »

 « Où aurais-je pu rencontrer autant de personnes différentes, entendre autant d’histoires, voir se dérouler autant de parcours et se décider autant de destins ? », écrit l’un des CPIP participant à l’atelier d’écriture. Les visiteurs de prison partagent cet émerveillement.

 

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