Grande BretagneHistoireLivresManagement27 décembre 20230Les naufragés du Wager

« Le Wager, une histoire de naufrage, de mutinerie et de meurtre » (The Wager, a tale of shipwreck, mutiny and murder) livre de David Grann traduit en français sous le titre « les naufragés du Wager ») est le récit palpitant du naufrage d’un navire britannique non loin du Cap Horn en mai 1741, de la vie des naufragés survivants sur une île déserte et de la fuite de certains d’entre eux.

 Ce qui rend ce livre unique et passionnant, c’est qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Il est documenté jusque dans ses moindres détails. Il y eut en effet trois groupes de survivants qui publièrent leur journal ou leurs souvenirs, en partie antagonistes. Un procès en Cour Martiale examina les faits.

 Le récit par David Grann de la vie à bord de ces « mondes de bois » qu’étaient les navires de guerre de Sa Majesté est impressionnant. « Être dans un navire est comme être dans une prison, avec la probabilité d’être noyé, » relate-t-il. Il fallait plusieurs centaines d’hommes pour manœuvrer un navire de guerre. Ils étaient les rouages d’une mécanique bien huilée, « semblables aux cellules d’un corps humain : une seule maligne pourrait toutes les détruire. »

 Sur l’île Wager »

 Un marin s’exprimait ainsi : « j’avais anticipé une sorte de maison élégante avec des canons aux fenêtres ; un ensemble d’hommes ordonné ; en bref, je m’attendais à trouver une sorte de Gosvernor Place, naviguant comme l’Arche de Noé. Au lieu de cela, le pont était sale, glissant et humide ; les odeurs abominables ; tout ce que l’on voyait, dégoûtant ; et quand je remarquai l’équipement négligé des marins, vêtus de manière miteuse, portant des chapeaux délavés, sans gants et pour certains sans chaussures, j’oubliai toute mon histoire de gloire… et, presque pour la première fois de ma vie, et je voudrais pouvoir dire pour la dernière, je sortis mon mouchoir de ma poche, couvris mon visage, et pleurai comme l’enfant que j’étais. »

 Faute de volontaires, l’armée procédait à des razzias dans les villes et les campagnes et embarquait de force des malheureux. À bord, ceux-ci étaient la proie des épidémies et du scorbut et décédaient en nombre. Lors d’un combat, une salle d’opération accueillait les blessés et certains étaient amputés sans anesthésie.

 Le Wager s’était échoué sur les rochers d’une île déserte. Les survivants avaient pu, peu à peu, y récupérer de la nourriture, des outils, des planches, de quoi écrire. Ils purent transformer les barges permettant l’approche des plages en bateaux capables, vaille que vaille, de naviguer sur de longues distances.

 Sur « l’île Wager », les conditions devirent rapidement insupportables. La faim rôdait. « Les gens qui n’ont pas fait l’expérience des âpres situations que nous avons rencontrées, écrit John Buckeley, leader d’une équipe de survivants, s’étonneront que des individus puissent être tellement inhumains qu’ils laissent des camarades mourir de faim sous leurs yeux et ne leur porter aucun secours. Mais la faim est dépouillée de toute compassion. »

Deux routes pour survivre

Le capitaine, David Cheap, s’entêtait dans l’idée de poursuivre la route vers l’ouest, de passer le Cap Horn et de remonter le long des côtes du Chili, alors sous domination espagnole. John Buckeley n’était que chef-canonnier. Il avait étudié en profondeur le récit qu’un navigateur avait fait de ses voyages en Patagonie. Il avait élaboré un plan de fuite par l’est, remontant jusqu’à la côte du Brésil.

 La route proposée par Cheap avait l’avantage de se conformer au plan de l’Amiral Anson. Elle était beaucoup plus dangereuse et comportait le risque d’être fait prisonniers par les ennemis espagnols.

 C’est une mutinerie qui éclata. Grann écrit ainsi que « Bulkeley semblait beaucoup plus équilibré (que Cheap) et apte à commander les hommes dans leur situation cauchemardesque ; implacable, ingénieux et astucieux, il avait émergé comme un leader par ses propres mérites. Par contraste, la prétention de Cheap que ses hommes le suivent sans sourciller n’était fondée que sur la chaîne de commandement. Et dans son désespoir de maintenir son autorité, il était devenu encore plus fanatique. »

 Bulkeley parvint au Brésil le 28 janvier 1742, 100 jours et 2 500 miles après avoir quitté l’île. Le capitaine Cheap, accompagné par le jeune John Byron, grand-père du poète, parvint à gagner le Chili grâce à des indigènes patagoniens au terme d’un trajet invraisemblable, le Cap Horn étant franchi à pied, après que les canoés eurent été démontés.

Cour Martiale

 Lorsque les survivants du Wager furent jugés par une Cour Martiale à bord d’un navire à Portsmouth, deux versions s’affrontèrent. Cheap dénonça une mutinerie, passible de la peine de mort, et son abandon par les mutins sur l’île Wager. Bulkeley de son côté expliqua que le capitaine, hors de contrôle, avait tué l’un de ses hommes, meurtre passible de la peine de mort.

 L’enjeu de la Cour Martiale est la mort par pendaison, après tant de souffrances. Mais condamner les mutins et le meurtrier serait mettre sur la place publique un versant sordide de la Royal Navy. La prudence incite les juges à centrer leur jugement sur un aspect mineur du dossier : le capitaine a-t-il fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le naufrage ?

 « Les naufragés du Wager » est un grand livre d’histoire, et un formidable témoignage sur la gestion d’hommes en situation extrême. Un autre aspect est la relation avec les indigènes. Les naufragés reçoivent sur leur île déserte la visite de Kawésqar, un peuple nomade qui se déplace en canoés équipés de braseros et vit des produits de la mer. Les visiteurs leur offrent de la viande. La relation s’interrompt lorsque certains naufragés s’intéressent de trop près à leurs femmes.

 Ce sont aussi des Patagoniens, les Chonos, qui sauveront le troisième groupe de naufragés, les emmenant avec eux jusqu’au Chili. David Grann écrit : « Byron traitait habituellement les Patagoniens de « sauvages », et Campbell se plaignait : « Nous ne pouvions pas trouver la moindre faute dans leur conduite, ils se considéraient comme nos maîtres et nous nous trouvions obligés de nous soumettre à eux en toutes choses. »

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