Hors la loi

France 2 a commencé le 12 février la diffusion d’une série de trois remarquables documentaires de François Cholowicz sur le système judiciaire et l’emprisonnement.

 La réalisation de ces documentaires a nécessité la collaboration active des policiers, procureurs, magistrats, avocats, responsables de l’administration pénitentiaire, travailleurs sociaux impliqués dans l’arrestation, la garde à vue, le mandat de dépôt, la détention et le jugement de six justiciables impliqués dans différents délits (cambriolage, vol à la roulotte, agression sexuelle…). Un millier d’interviews ont été effectuées. Le projet s’est étagé sur 4 ans, à la fois en raison de l’étendue du matériel accumulé et pour pouvoir suivre le parcours des justiciables.

 Le réalisateur suit à la trace six hommes qui ont maille à partir avec la justice. Ils sont de profils différents, du SDF à l’éducateur sportif, et de l’immigré en situation irrégulière parlant à peine le français à un multirécidiviste beau parleur. Certains admettent les faits qui leur sont reprochés. D’autres les nient farouchement. Policiers et magistrats sont parfois en proie au doute et tentent de se forger une opinion ; parfois, ils sont convaincus de la culpabilité des personnes arrêtées mais peinent à la prouver.

 François Cholowicz ne prend pas parti. Il suit les policiers dans leurs interventions de nuit. Lorsqu’un suspect est appréhendé, c’est lui que la caméra suit à chaque moment de son parcours judiciaire et jusque dans la prison. C’est du point de vue du justiciable que nous nous trouvons. Nous avons en face de nous le policier qui nous interroge pendant les interminables heures de notre garde à vue, la juge d’instruction qui décide de nous envoyer en  détention provisoire, le gardien de prison qui effectue pour nous les formalités d’écrou, le directeur qui nous reçoit dans le cadre de la procédure d’accueil dans le quartier des arrivants de la maison d’arrêt.

 C’est la répétition du même scénario dans les mêmes lieux, commissariat central, palais de justice et maison d’arrêt de Toulouse, mais impliquant des justiciables de profils très différents, qui révèle peu à peu comment fonctionnent les rouages de la justice. Le film montre les hommes et des femmes qui font fonctionner cette machine. On est frappé par le professionnalisme des policiers, des agents de l’administration pénitentiaire, des juges et des avocats, des travailleurs sociaux, et aussi par leur profonde humanité. « Mais Monsieur, qu’est-ce qu’on va faire de vous ? » demande une juge, dénotant par cette question une réelle anxiété.

 Les locaux où a été tourné le documentaire sont modernes et fonctionnels ; on sait que ce n’est pas le cas de la plupart des prisons et de nombreux lieux de police et de justice. Il est probable que les personnels filmés ont donné, devant la caméra, le meilleur d’eux-mêmes. Il reste que le film est instructif et captivant.

 Le premier épisode, « entrer en prison », peut être visionné sur http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/12-02-2013_29023.  Les autres épisodes auront pour titre « rester en prison » et « revenir en prison ».

Après 18 ans, Justice

En Grande Bretagne, deux hommes viennent d’être condamnés pour le meurtre raciste d’un jeune homme de 18 ans, 18 ans après les faits. L’événement suscite une émotion considérable dans le pays.

 Le 22 avril 1993, Stephen Lawrence, dix-huit ans, était poignardé par un gang de jeunes racistes à Eltham, dans le sud-ouest de Londres. Bien vite, cinq suspects furent identifiés mais la police mit des semaines avant d’enquêter sérieusement, leur laissant tout le temps d’effacer les traces.

 Les parents de Stephen, et en particulier sa mère Doreen, menèrent un combat incessant pour obtenir justice. Un premier procès en 1996 conduisit à l’acquittement de trois accusés faute de preuve. En 1997, le Daily Mail fit sensation en publiant en première page la photo des suspects avec la manchette « Assassins : le Mail les accuse de meurtre ; si nous avons tort, qu’ils nous poursuivent en justice ».

 En 1998, une enquête menée par Lord Macpherson conclut que l’enquête avait été « entachée d’incompétence professionnelle, de racisme institutionnel et de manque de leadership par les officiers supérieurs ». Le rapport proposa au gouvernement soixante dix réformes pour s’attaquer au racisme dans les institutions, en particulier dans la police.

 En 2005, le Parlement ouvrit la voie à un second procès en supprimant du droit pénal une clause qui empêchait de rejuger un prévenu pour un crime qui avait déjà fait l’objet d’un procès. Une nouvelle enquête fut ouverte en 2007, avec d’énormes moyens financiers et techniques, notamment l’usage d’une nouvelle technologie permettant d’analyser des traces d’ADN microscopiques. Le 22 avril 2008, alors qu’un service religieux marquait le quinzième anniversaire de l’assassinat de Stephen en présence de Gordon Brown et David Cameron, l’enquête marqua un pas décisif : des traces de sang avaient été découvertes au microscope sur le col de la veste d’un des suspects. Le code ADN correspondait à celui de Stephen. C’est cette découverte qui conduisit à l’inculpation de Gary Dolson et David Norris et à leur condamnation à 15 et 14 ans de prison.

 Trois des suspects restent en liberté, sans qu’aucun indice n’ait pu les confondre pour le moment ; les enquêteurs ont promis de poursuivre leurs efforts. Et surtout, le combat contre le racisme est loin d’être achevé : The Guardian indique que selon des sources officielles, un noir avait en 1999 – 2000 quatre fois plus de chances qu’un blanc d’être interpellé par la police ; une décennie plus tard, il a sept fois plus de chances ».

 Il reste que la lutte obstinée des Lawrence a éveillé les consciences en Grande Bretagne, rendu l’expression publique du racisme inconfortable et obligé les institutions à se doter de procédures et de structures pour traquer le racisme en leur sein. « Après 18 ans, Justice », titre The Guardian, qui le 4 janvier consacrait toute sa première page et huit pages au total à ce verdict historique.

 Photo « The Guardian » : la famille Lawrence parle aux journalistes à la porte de la Cour Royale de Justice.

L’assistance judiciaire en question en Grande Bretagne

L’aide judiciaire va être l’une des victimes du plan de restrictions budgétaires en Grande Bretagne. The Guardian a publié le 6 juin un article d’Amelia Hill sur les conséquences de ces mesures.

 Le Gouvernement britannique a l’intention de supprimer totalement l’assistance judiciaire dans plusieurs situations telles que les conflits familiaux, sauf lorsqu’ils comportent une violence domestique. L’économie budgétaire est conséquente : 350 millions de sterlings. On estime que 500.000 à 650.000 personnes ne pourront se prévaloir des services d’un avocat payé par le Ministère de la Justice et devront défendre elles-mêmes leur cause devant les tribunaux.

 Amelia cite le cas de Stuart Johnson, un père de famille divorcé en 2007 après 17 ans de mariage et  à qui son ex-femme déniait l’accès à Jim, leur jeune fils âgé de 4 ans, bien que le droit de visite lui fût reconnu. Pensant à tort que son niveau de revenu ne lui donnait pas droit à l’assistance judiciaire, il dut se représenter lui-même au procès. Il décrit cette expérience comme horrible, intimidante, embarrassante et humiliante. « Il n’y avait personne pour me dire comment me comporter au tribunal. Je ne savais pas quelle preuve il fallait ou même comment parler au juge. J’apportais avec moi deux valises de papiers à chaque audience mais alors, parce que je ne savais pas quand parler et quand me taire, ou quels termes légaux utiliser, ou ce qui était important de lui dire et ce qui ne l’était pas, le juge se mettait en colère et je devenais confus et émotif ».

 Stuart pataugea ainsi pendant 18 mois avant de découvrir qu’en réalité il avait droit à l’aide judiciaire. L’aide d’un professionnel lui permit de remettre les choses d’aplomb et d’obtenir gain de cause. « C’est horrible de devoir passer tout seul par un processus judiciaire. La Justice n’est pas rendue parce que vous êtes tout seul à vous battre, et que vous ne connaissez pas les règles ».

 Photo « the Guardian » : Stuart Johnson.