Justice10 novembre 20160Cohabitation carcérale

Une des contraintes majeures de la vie en maison d’arrêt est l’obligation de partager un minuscule espace, environ 9m², avec un individu qu’on n’a pas choisi.

L’administration pénitentiaire s’efforce de rendre la cohabitation entre détenus moins pénible. On évite aux non-fumeurs de vivre enfumés. Dans la mesure du possible, si le juge ne s’y oppose pas, on accède au désir exprimé par deux détenus qui se connaissent par l’atelier, la promenade ou le sport de partager la même cellule.

La vie en commun s’avère pourtant parfois insupportable. Il arrive que le codétenu ne se lave pas, qu’il ronfle, qu’il laisse allumée la télévision toute la nuit, qu’il s’approprie la « cantine » que l’on a payée.

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Lorsqu’António a proposé à Paulo, il y a trois mois, d’être son codétenu, celui-ci a volontiers accepté. Paulo est lusophone ; António, un homme courtois et affable, parle espagnol. On allait pouvoir s’entendre.

Paulo découvre peu à peu qu’António est un homme complexe, tour à tour enjoué et profondément déprimé. Il est surtout complètement centré sur lui-même, convaincu qu’il peut vivre complètement à l’abri de toute interaction avec les autres, imperméable à l’échange et au don.

Paulo, qui travaille en atelier, cantine ce qu’il faut pour cuisiner des plats de chez lui. Et au pays, il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas partager. Lorsqu’il cuisine, il est heureux que d’autres en profitent. Comme il n’a qu’António sous la main, celui-ci en profite sans barguigner.

António, de son côté, ne « cantine » que des biscuits, du chocolat et du coca-cola et se satisfait de la gamelle de la prison. Pris par un accès de bonté, il lui arrive de tendre un biscuit à Paulo, comme on le ferait à un bébé. Il ne lui viendrait pas à l’idée de tendre la boîte ouverte.

A picture on September 20, 2016 in the prison of Fresnes, near Paris shows inside a cell.  / AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

António reçoit du service médical des packs de lait non allergisant. Il ne les consomme pas, il ne les partage évidemment pas. Son plaisir est de les thésauriser et d’avoir sous les yeux, quand il le souhaite, son butin. Il a aussi mis de côté une trentaine de savons, un bien rare en détention alors que la douche est un acte important.

Un fossé culturel sépare Paulo d’António. Il reconnait qu’il n’est pas un saint, qu’il va payer pour des erreurs commises. Mais il sait l’importance d’une communauté. L’homme isolé se dessèche comme une plante sans eau. On ne peut vivre qu’en interaction avec les autres, même si la détention limite les interactions à un microcosme où s’exerce la violence institutionnelle et la violence des bandes. Face à António, il se trouve démuni. C’est comme s’il avait face à lui un non-humain. Comme si l’inhumanité du monde carcéral prenait un visage humain.

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