EspagneLivresPolitique8 septembre 20240Tout va aller mieux

« Todo va a mejorar » (tout va aller mieux), roman d’Almudena Grandes, a été publié en octobre 2023, un an après sa mort des suites d’un cancer. On peut le considérer comme inachevé, le dernier chapitre ayant été ajouté par son mari, le poète Luís García Montero sur les indications de la romancière.

Après deux confinements, qui ont durement éprouvé les Espagnols, un homme d’affaires fortuné, Juan Francisco Martínez Sarmiento, surnommé le Grand Capitaine, décide de prendre le taureau par les cornes. Son ambition : « gérer l’Espagne avec les critères d’efficacité, de créativité et de rentabilité qui définissent la gestion des entreprises excellentes. »

Puisque les citoyens déplorent l’insécurité et l’inefficacité de la police, il place celle-ci sous les ordres de responsables de sociétés privées de surveillance habituées à contrôler l’accès aux discothèques.

Pandémie

Puisque les téléphones portables et Internet sont de puissants vecteurs d’addictions, une coupure générale (grande apagòn) en libèrera les citoyens. Pour empêcher les gens de déprimer, on leur retirera leurs équipements électroniques.

Puisque d’innombrables villages se sont vidés de leurs habitants, on lance un ambitieux plan de repeuplement, dont les « volontaires » suscités sont, en priorité, des citoyens remuants. On aura au préalable dissous les ONG.

Le slogan est « tout va aller mieux ». Pour lutter contre la solitude, on institue l’applaudissement pour aller mieux chaque jour à 20 heures. On dote chaque espagnol d’un thérapeute. Une thérapeute rencontre Jonas, qui crée des animations pour la télévision. « Jonás González, n’est-ce pas ? – et elle sourit de nouveau, avec une telle détermination que ses lèvres se déformèrent dans une grimace quasi douloureuse. Je m’appelle Leticia et je suis ta thérapeute personnelle. Je suis venue t’annoncer que  – elle leva une main en l’air pour dessiner le V de la victoire avec deux doigts –  tout va aller mieux. » Elle convainc Jonás de participer à une rencontre pour aller mieux. Par chance, Jonás y rencontrera Paula, son grand amour et sa future complice dans la dénonciation du nouveau régime de bonheur obligatoire.

Pour mener à bien son plan, le Grand Capitaine peut compter sur une collaboratrice dévouée, Megan García. Il rassemble, dans le plus grand secret sur l’île de Fuerteventura, une équipe de pirates informatiques (hackers) : c’est à eux qu’il incombera de déconnecter l’Espagne d’Internet. Il dispose aussi d’une équipe de virologues, qui provoqueront une troisième et une quatrième pandémies, en fonction des besoins politiques du moment. Il fédère aussi des politiciens de tous bords, à l’exception de José Luís Rodriguez Zapatero, l’un des seuls à ne pas se laisser séduire par le nouveau parti politique, Movimiento Ciudadano ¡Soluciones Ya! (Mouvement Citoyen Des Solutions Maintenant ! -MCSY) qui obtient la majorité absolue aux élections. Le MCSY isole l’Espagne, qui refuse l’immigration et ne laisse personne quitter le pays. Il convainc les autres pays européens de dissoudre l’Union Européenne, institution coûteuse et inefficace.

Los Peñascales

Une première fissure se produit lorsqu’une habitante d’une urbanisation réservée aux privilégiés du régime est mordue par un chien. Aucun chien n’aurait dû survivre à la décision d’euthanasier les animaux de compagnie pour préserver leurs maîtres de l’épidémie ; la femme n’était pas vaccinée, alors que la vaccination était obligatoire ; elle avait survécu à la morsure, alors qu’elle aurait dû mourir de contamination.

De proche en proche, une domestique hondurienne, un pâtissier, une responsable de programmes à la télévision, une vendeuse de téléviseurs, une stagiaire du Corps des Vigilants et une dizaine d’autres personnes prennent conscience des mensonges du nouveau régime. La domestique est assassinée, mais les dissidents créent un mouvement qu’ils nomment la Montagne (le refuge des proscrits) et lancent un slogan : « nada va a mejorar porque todo es mentira » (rien ne va aller mieux parce que tout est mensonge).

Le dernier chapitre, écrit par le mari de la romancière après le décès de celle-ci s’intitule « transition », un mot chargé d’histoire en Espagne. Le Grand Capitaine se rend compte que les Espagnols ne se résignent pas au bonheur obligatoire : « Tant de joie signifiait en réalité une immense tristesse. »

Ce dernier chapitre n’est qu’une esquisse, qui contraste avec l’épaisseur des cinq précédents et à la richesse des personnages (environ soixante-dix). Le lecteur ne peut manquer de ressentir de la frustration, mais n’est-ce pas celle que l’on ressent en prenant conscience de la finitude de sa vie ? Almudena Grandes a écrit ce livre, rongée par le cancer qui allait l’emporter.

Almudena Grandes en 2018

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