Cinéma6 mai 20240Drive my car

Arte TV a récemment programmé « Drive my car », film du réalisateur japonais Ryüsuke Hamaguchi (2021), dans lequel le montage de la pièce « Oncle Vania » de Tchékhov fait écho aux douleurs enfouies des protagonistes.

Comme l’indique le titre du film, une automobile y joue le rôle d’un personnage majeur. Il s’agit d’une Saab rouge à conduite à gauche, ce qui détonne dans la circulation japonaise. Elle est la propriété de Yüsuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima), un metteur en scène de théâtre connu. Elle constitue un marqueur de son identité depuis une quinzaine d’années.

Lorsque Yüsuke est invité à mettre en scène « Oncle Vania » à Hiroshima, il découvre sur place qu’une condition mise à sa résidence est qu’il ne conduise pas sa voiture, mais laisse le volant à une professionnelle de la conduite. C’est pour lui un déchirement. Une étrangère va pénétrer dans son intimité, va être témoin de son travail puisque, pendant de longs trajets, le texte de la pièce est diffusé par cassette audio.

La conductrice est une jeune femme, Misako (Toko Miura). Insensiblement, la relation entre le client et l’employée évolue. C’est que l’un et l’autre ont l’esprit envahi par un traumatisme, et que leurs histoires se ressemblent. Un être cher est mort, s’ils avaient agi différemment, peut-être aurait-il pu être sauvé, ne sont-ils pas indirectement coupables de meurtre ? Dans la Saab rouge se révèlent deux passés douloureux et parallèles.

Lorsque l’acteur choisi pour jouer le rôle de Vania est forfait, Yüsuke est le seul à pouvoir reprendre le rôle au pied levé. Mais la douleur de Vania et Sonia l’accable, il se sent incapable de jouer tant que sa propre douleur, la culpabilité de n’avoir pu sauver sa femme adorée, n’est pas verbalisée, travaillée, apprivoisée.

Yüsuke Kafuku est un metteur en scène singulier. Dans ses productions théâtrales, il juxtapose les langues, laissant les spectateurs découvrir sur un panneau géant la traduction des passages non prononcés en japonais. Dans « en attendant Godot », l’un des mendiants s’exprime en japonais, l’autre en français. Pour « Oncle Vania », le personnage de Sonia s’exprime en langue des signes coréenne.

Une scène bouleversante du film est le monologue de Sonia, enlaçant Vania, évoquant l’au-delà : « nous nous reposerons ! Nous écouterons les anges, nous verrons le ciel parsemé de diamants, nous verrons tout le mal terrestre, toutes nos souffrances se fondre dans la miséricorde qui emplira le monde, et notre vie deviendra calme, tendre, douce, comme une caresse… J’y crois, j’y crois… »

« Drive my car » a obtenu l’Oscar du meilleur film international en 2022 et le prix du meilleur scénario à Cannes. D’une durée de près de trois heures, il prend le spectateur dans une sorte de ravissement. Exceptionnel.

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