Une architecture d’espoir (An architecture of hope, Scribe, 2024), livre d’Yvonne Jewkes, est sous-titré : réimaginer la prison, restaurer une maison, me reconstruire (reimagining the prison, restoring a house, rebuilding myself). Il n’a pas encore été traduit en français.
C’est un passionnant récit entremêlé que nous propose l’autrice. Elle nous parle de son métier de criminologue et de son intérêt pour l’architecture carcérale ; de sa passion pour la propre maison à Cheltenham, dans les Cotswolds, construite en 1816 dans le style géorgien ; enfin, de sa rupture, juste avant le confinement, avec l’homme qui avait partagé sa vie pendant un quart de siècle.
L’association de l’intime au professionnel n’est pas fortuite. C’est en effet de la qualité de vie des personnes détenues que nous parle Yvonne Jewkes, qualité qui influe sur leurs chances de réhabilitation – en français, on dirait plutôt réinsertion. « Je suis convaincue que des prisons conçues pour encourager leurs occupants à se sentir investis dans le futur, plutôt que de rester attachés à leur passé sont bonnes pour nous tous. » Or, presque partout dans le monde, c’est la logique punitive qui prévaut : on châtie les hommes pour les crimes et les délits qu’ils ont commis. « Il reste une croyance profondément enracinée que les prisons doivent être ressenties comme des lieux de dureté et de privations. On pense que la prison n’aurait pas d’effet dissuasif si elle était le moins du monde confortable. »
L’autrice évoque les conditions de détention dans des prisons anciennes, marquées par la saleté et la négligence : un rappel, dit-elle, aux détenus « qu’ils ont été rejetés par la société, qu’ils sont eux-mêmes considérés comme des déchets. » Car « de même que les maisons donnent une identité à ceux qui les habitent, les prisons donnent une identité à leurs occupants. »
Les prisons devraient être un lieu où les personnes se reconstruisent au lieu de ruminer leur passé. Yvonne Jewkes est convaincue que l’architecture carcérale répond à l’objectif assigné à la détention : « brutaliste », elle exprime avant tout l’intention de punir et de casser les personnalités ; « humaniste », elle facilite le développement des potentialités.
Jewkes se fait l’avocate d’une prison où la vie serait richement vécue. Elle parle aux architectes « de ce que nous apprécions (ou de ce à quoi nous aspirons) tous dans nos propres maisons. Un chez-soi. Des salles pour l’intimité et des salles pour socialiser. Des zones de luminosité et de stimulation visuelle côtoient des espaces calmes et sûrs. Possibilités de personnaliser l’espace et de le rendre confortable. Installations pour préparer des repas et des collations. Fenêtres sur le paysage extérieur. » « Pour la plupart des prisonniers, observe-t-elle l’idée d’une belle prison nécessite un énorme saut d’imagination » !
Yvonne Jewkes est fréquemment consultée en Grande-Bretagne, en Irlande, en Australie et en Nouvelle Zélande, sur de nouveaux projets de construction de prison où on attend d’elle des pistes pour sortir des sentiers battus de l’architecture coercitive. Parfois, le cahier des charges est si contraignant qu’elle renonce à l’appel d’offres ; parfois, son projet est accepté mais, à l’heure de la mise en œuvre, il se trouve privé de sens par l’ajout de barbelés et de grilles.
Elle évoque le livre « la vie sans libération conditionnelle » de l’avocat américain Victor Hassine, qui avait passé 28 ans dans des prisons de Pennsylvanie avant de se suicider après avoir vu sa demande de libération conditionnelle rejetée. Son sentiment d’impuissance est certainement partagé par beaucoup d’acteurs du système pénitentiaire en France, qui assistent à la compétition féroce des hommes politiques pour montrer qu’ils sont les plus intraitables face au crime et les plus résolus à durcir la politique pénale et à remplir les prisons. « Dans un passage mémorable, il vous demande d’imaginer que vous êtes dans un train en fuite qui passe station après station (…) Imaginez que vous êtes un banlieusard sur le quai d’une gare. Vous voyez un train passer à une vitesse vertigineuse. Vous apercevez des passagers hystériques qui frappent aux fenêtres du wagon et brandissent des pancartes demandant de l’aide, mais le train avance tellement vite que tout devient flou. Le train s’agrandit comme dans un rêve. D’autres wagons s’ajoutent, transportant de plus en plus de passagers dans un cortège sans fin de misère et de panique. »
Yvonne Jewkes ne partage pas totalement le pessimisme de Hassine et croit qu’existent des marges de progrès significatives. Son livre est stimulant de bout en bout. Il figure parmi les ouvrages les plus intéressants qu’il m’ait été donné de lire sur le sujet de la prison. De quelle couleur est la prison, demande-t-elle à une jeune personne détenue en Angleterre ? Violet, comme une ecchymose.