Théâtre7 mai 20120Oncle Vania

La pièce d’Anthony Clark « Our Brother David », qui vient d’être jouée au Palace Theatre de Watford, s’inspire de « Oncle Vania » de Tchekhov. J’avais assisté à une représentation de cette pièce au Pump House, un espace culturel alternatif lui aussi à Watford, en novembre 2008. J’avais rédigé le compte-rendu qu’on va lire.

 Sonia et son oncle Vania vivent, ou plutôt vivotent de l’exploitation d’un domaine agricole. Ils économisent pour envoyer de l’argent à Alexandre Sérébriakov, la célébrité académique de la famille, père de Sonia et veuf de la sœur de Vania. Voici que, maintenant à la retraite de l’Université, Sérébriakov vient s’installer au domaine avec sa jeune et séduisante femme, Elena. Du coup, le médecin de famille, Astrov, fait des visites de plus en plus prolongées. L’attrait sexuel d’Elena provoque chez Vania et Astrov une crise existentielle. Le premier, maintenant âgé de 47 ans,  découvre anéanti que jusqu’à présent il n’a pas vécu et que sa vie est irrémédiablement gâchée : « nuit et jour, la pensée que ma vie est perdue sans retour vient me hanter comme un démon domestique. Mon passé n’existe plus, il s’est gaspillé en futilités, mais le présent est d’une absurdité terrifiante. » Le second, écologiste avant l’heure, prend conscience, fataliste, qu’il n’y aura de place pour un amoureux de la nature comme lui que dans cent ou deux cents ans : « quand les gens ne savent pas quelle étiquette me coller au front, ils disent : c’est un homme étrange  vraiment étrange !  J’aime la forêt – étrange ! Je ne mange pas de viande, tout aussi étrange. Il n’y a déjà plus de contact immédiat, pur, libre, avec les gens… non, plus du tout !  (…) Mon temps est passé, c’est top tard pour moi…  J’ai vieilli, j’ai trop travaillé, je suis devenu vulgaire, tous mes sentiments se sont émoussés, et je crois que je ne pourrais plus m’attacher à un être humain. Je n’aime personne et… je n’aimerai plus personne.» Quant à Sonia, elle hésite à confier au docteur son amour : « l’incertitude vaut mieux, il reste de l’espoir ».

 Vania tente de tuer Sérébriakov dans une crise de désespoir. Elena s’éloigne avec son vieux mari, Astrov, Sonia et Vania reprennent leur vie de travail abrutissant. A ces naufragés de la vie, il ne reste, comme le dit Sonia, que l’au-delà ; « nous nous reposerons ! Nous écouterons les anges, nous verrons le ciel parsemé de diamants, nous verrons tout le mal terrestre, toutes nos souffrances se fondre dans la miséricorde qui emplira le monde, et notre vie deviendra calme, tendre, douce, comme une caresse… J’y crois, j’y crois… »

 Sérébriakov s’emporte contre sa « maudite, répugnante vieillesse. S’adressant à sa jeune femme Elena : « tu es jeune, bien portante, belle, tu veux vivre, et moi je suis un petit vieux, presque un cadavre. Est-ce que je me trompe ? Bien sûr, c’est ridicule que je sois encore en vie. Mais attendez, bientôt je vous débarrasserai tous. Je ne vais pas trainer bien longtemps. » La conclusion qu’il en tire est qu’il a un crédit illimité sur les autres, qu’il a le droit par exemple de refuser à Elena la joie de se remettre au piano au prétexte que cela l’importunerait. « Bon, admettons, je suis un dégoûtant, un égoïste, un tyran, mais n’ai-je pas droit, même dans ma vieillesse, à l’égoïsme ? Ne l’ai-je pas mérité ? »

Photo New York Times : Cate Blanchett et Richard Roxburgh dans une production d’Oncle Vania par le Sydney Theatre en 2011.

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